▬ Née à Olstread, j’y ai vécu toute mon enfance. Ennuyée de connaître tout et tout le monde, j’ai été ravie d’accueillir mon correspondant Indien. Mes parents n’étaient pas vraiment pour, tant ils étaient vieux jeu, mais ils ont du s’y faire. D’autant qu’on est tombé amoureux alors qu’on était encore des étudiants. Nous sommes restés ensemble depuis ce jour, et le sommes encore. Mes parents, de plus en plus réticents sur notre relation, ont créé une dispute qui aurait pu durer seulement quelques mois. C’est comme ça les histoires de famille. J’étais enceinte. Et ils n’étaient donc pas là pour ma grossesse, n’ayant aucune idée de mon état Seulement, ça ne s’est pas passé comme ça. On n’a pas eu le temps de se rabibocher.
Je ne pensais pas qu’une grossesse, enfin, surtout l’accouchement serait aussi douloureuse. Pour comparaison, j’en ai vécu une normale quelques années après celle-ci. Aux échographies, les médecins me paraissaient normaux au début, puis vers le septième mois de grossesse, je les sentais bizarres. Mais « pas de quoi s’affoler », disaient-ils. Probablement qu’ils avaient déjà eu des cas comme celui-ci quelques fois. Sauf que pour nous, ça ne s’est pas rétracté. Oui, je parle du bec que mon… que ce bébé avait à la place d’une bouche, et qui a été plutôt désagréable à faire passer. Contrairement aux autres mères, je n’ai pas eu droit aux cris habituels de mon enfant. A la place, un croassement rauque et affreux sortit de ce corps.
Effrayée, dégoûtée, mon mari dans le même état, je ne pouvais pas me résoudre à prendre cette chose dans les bras. Il m’a bien fallu faire cet effort presque insurmontable pour le porter jusque devant l’Institut. Je l’avais juste enveloppé dans une couverture épaisse. Je pense que l’Institut l’a receuilli et lui a donné un prénom. Le nom, ils doivent sûrement le savoir. Qui d’autre que les Ympa avait engendré cette créature ? Heureusement, nous avons préféré partir dans le pays natal de mon fiancé. Je pouvais ainsi fuir tout ça. Et c’est pour cette raison que je ne me suis jamais réconciliée avec ma famille. Je ne sais même pas s’ils connaissent leur « petit-fils ».
Maintenant, j’avoue que je pense encore à lui. Je ne peux m’en empêcher. Est-ce que je regrette mon geste ? Peut-être. Je pense juste que j’avais peur. Mais comment pourrais-je oser le voir, de toute façon ? Comment réagirai-je si ce bec ornait toujours son visage, le rendant si disgracieux ? Quoiqu’il en soit, je compense avec ma fille, qui ne sait et ne saura probablement jamais qu’elle a eu… un frère.